Vers une société d’individu tronqués?
Les céci-footballeurs ont suscité notre admiration au cours des jeux para olympiques. Il en est de même pour les champions de tennis en fauteuil roulant. Ils suscitent notre admiration, mais c’est un fait : il leur manque quelque chose, aux uns la vue, aux autres les jambes ou les bras.
Il leur manque quelque chose. N’est-ce pas vrai pour chacun d’entre nous ? Nous sommes tous privés de quelque chose : les uns d’une enfance heureuse, les autres d’éducation, les autres encore de la santé, mais la vie nous a appris à compenser ces manques. Avec un peu de persévérance dans l’effort, nous parvenons plus ou moins à mener une vie équilibrée, saine, voire heureuse. Le contraire d’une vie tronquée.
Toutefois nous vivons dans une société qui peut, si nous n’y prenons garde, faire de nous des individus tronqués. Je m’explique : mon médecin généraliste me consacre 20 minutes de son temps à chaque consultation. Il s’intéresse à ma santé. C’est normal c’est son métier. Mon banquier s’intéresse à mes biens matériels. C’est son métier. Internet permet à des millions de professionnels de s’intéresser à mes envies de consommation. Cela ne me gêne pas outre-mesure.
Ce qui me gêne en revanche c’est lorsque la personne que je rencontre ne voit en moi que ce qui l’intéresse. Mon médecin ne prendrait pas une minute de plus pour m’interroger sur ma famille ? Dommage, il n’a pas le temps…
Vous souvenez-vous chers lecteurs d’un reportage sur les moyens de reconnaissance faciale utilisés par les services de renseignements du Parti Communiste Chinois ? Ces services sont capables de repérer au milieu d’une foule dans la rue les individus suspects. Le reportage montrait sur un écran chaque personne munie d’une étiquette au-dessus de sa tête portant son numéro. C’est la caricature de l’individu tronqué. Orwell l’avait pressenti, si nous n’y prenons garde, la société fera de nous des ambulants tronqués.
La troncature se produit dans un aspect plus fondamental de notre personne : la troncature spirituelle. En tant que pasteur je suis frappé de voir à quel point sont rares les conversations spirituelles. A la terrasse d’un café, de quoi parlons-nous le plus souvent ? des jeux olympiques, des vacances, de politique, des amis, de la famille. C’est très bien.
Nous avons même le temps d’approfondir, peut-être de tisser des liens d’amitié comme à l’Escale. Mais combien de fois abordons-nous les questions de spiritualité ? Les questions concernant nos croyances ou nos doutes ? C’est rare et personnellement cela me manquerait au point d’en ressentir une profonde frustration. J’ai la chance de pouvoir partager ma foi avec ma femme, mais je plains ceux qui ne peuvent le faire avec leur conjoint(e) agnostique ou athée
Je suis une personne entière : corps, âme et esprit. Ne voir en moi que le corps et l’âme (l’âme pris au sens des émotions, de la connaissance et de tout ce que le psychique contient) sans voir l’esprit (au sens de ma relation au transcendant), finira par faire de moi une personne spirituellement tronquée. Si je n’y prends pas garde, voilà ce que la société pourrait faire de moi et de vous, amis lecteurs.
Mais attention, n’accusons pas la société comme le faisait le chanteur Renaud car la société, c’est nous ! Quel regard portons-nous sur autrui ? Comment l’écoutons- nous ? Nous apprenons à l’Escale à écouter l’autre avec bienveillance, attentifs à l’autre dans toutes ses dimensions y compris spirituelles.
Non, si nous agissons avec la sagesse que Dieu nous donne, nous ne laisserons pas la société faire de nous des individus tronqués.